La Puce

Pour ses 60 ans

 

 

8 septembre 1957

 

"Tu as une petite sœur ! "

 

La nouvelle est tombée, comme ça, brutalement.

 

Et cette question posée plus d’une dizaine de fois, la formule qui agace d’autant qu’elle vous pourchasse :

 

-          T’es content mon gamin d’avoir une petite sœur ?

 

Elle était justifiée !

 

Et pourquoi faudrait-il que j’en sois satisfait ?

 

Un petit frère, au moins, j’aurais pu jouer avec, mais une fille ! une « pisseuse » ! comme certains les appellent.

 

J’avais vu ma mère grosse mais ça ne voulait rien dire. Les filles naissent dans les roses et les gars dans les choux ! Mais quand Tatave, la veille, l’a conduite en voiture vers ce vieil hôpital où cinq années plutôt elle venait me chercher, j’ai fini par douter.

 

Alors, c’était bien vrai. J’avais une petite sœur.

De quelle rose sortait-elle ?  Ou de quelle aubépine ?

Presque une semaine d’attente avant que l’intrigante n’arrive à la maison. Une semaine de stress !  Cinq ans d’enfant unique, ça forge des habitudes, un statut familial. Ça devait donc changer ?

L’accueil fut très glacial. La regarder ? Jamais !

 

Allais-je tenir longtemps ? Car la curiosité commençait à gagner. Je devais résister et puis par-dessus tout, ne pas laisser paraître que je pouvais céder ! Choisir le bon moment où la petite est seule dans MA voiture d’enfant ; tirer, très discrètement, le drap qui la recouvre et regarder sa tête…

C’est ça une petite sœur ?

Un être de chair et d’os qui dort à poings fermés sans se soucier de moi ? Des petits yeux mi-clos, une chevelure naissante qui déjà laisse présager de longs cheveux bouclés ? Cette petite bouille joufflue et ce rictus sûrement involontaire mais qui pouvait faire croire à un sourire complice ou… une provocation ?

Mais savait-elle qu’un jour elle aurait à souffrir ? Que les plus beaux sourires sont souvent proches des larmes ? Que la vie sur cette Terre n’est pas un fleuve tranquille ?

Savait-elle qu’à l’avenir je devrais partager mon air et mon espace et puis ensuite mes jouets ?

 

Sans en avoir conscience, ma sœur m’apprivoisait et je la regardais sans la moindre rancune même si bien trop souvent elle pleurait pour un rien. Des bras qui tardent un peu, un rot qui ne vient pas, des flatulences qui gênent, des couches un peu humides… Bien avant que les mots ne puissent traduire ses maux, Francine donnait très vite dans ce mode d’expression.

Moi aussi, parait-il, j’avais eu ce langage mais je ne m’en souviens pas !

 

Francine,

 

Il me tarda bientôt que tu grandisses plus vite et que je puisse, enfin, t’expliquer la vie, les couleurs vives des roses et les épines qu’elles cachent.

Alors tu as grandi, dans les bras de Longpré, affublée d’un surnom plus facile, heureusement, à porter que le mien.

Un surnom à ta taille, un surnom affectueux : la Puce

 

Je t’ai accompagnée, à l’automne 62, pour ta première rentrée. Pour la photo de classe, je t’ai prise par la taille et nous avons posé, complices, devant une carte du monde. Bien sûr, je m’empressais de t’oublier très vite dans la cour de récré. Les petits et les grands ne se mélangent pas !

 

J’ai souffert pour toi quand notre instituteur, un jour, te souleva pour te porter au coin, déclenchant malgré lui une réaction en chaîne. Des sanglots étouffés et un pipi, incontrôlé, qui vint mouiller la blouse du pauvre Monsieur Ferrière. Il l’avait pas volé !

 

Je venais te chercher quand tu t’attardais trop à rester chez Nana - Nana la polonaise – Sans doute t’ai-je éviter quelques fessées classiques, de celles qui punissaient l’imprudent qui osait arriver en retard, et puis sans doute aussi, que les mêmes causes provoquent les mêmes effets…

 

J’ai été solidaire quand pour d’obscures raisons, Nicole la fille cadette de notre chère Nana te traita un beau jour d’un vulgaire nom d’oiseau, m’ajoutant au passage sur la liste provisoire de ses indésirables :

« Le hibou, la chouette ; le hibou, la chouette ! »

 

La réplique fut cinglante :

« Le taureau, la vache ; le taureau, la vache ! »

 

A l’évidence, la vache était bien sur les marches de la maison d’Nana mais le taureau, franchement, était imaginaire.

 

Nous avons joué ensemble.

Tu étais « la marchande » sous la tente que notre oncle avait un jour plantée dans la cour de la ferme. Plantain, carottes sauvages, orties et pissenlits faisaient de beaux légumes que j’allais t’acheter.

Je payais en lingots, ces gros haricots blancs écossés de longtemps qui avaient échappé, miraculeusement, à une cuisson fatale.

J’ai dû payer sans doute mes légumes bien trop chers car tu avais, filoute, un bon sens des affaires !

Témoin cette anecdote avec ton « fiancé », le fils du puisatier.

 

Leur grande complicité accouchait quelquefois d’initiatives juteuses. C’est ainsi qu’un jeudi, les compères entreprirent une surprenante mission. Celle de vendre en public de petites épinglettes au profit des aveugles. Enfin… à leur profit ! Car les fameuses insignes, sorties d’on ne sait où, n’avaient pas dans leurs mains la moindre raison d’être. Ces deux-là, c’est certain, naïvement aveuglés par la promesse du gain, ne sont pas restés sourds aux voix d’la tentation !

 

Quant à tes haricots, peut-être ont-ils germé en retrouvant la terre quand, nos jeux terminés, nous les abandonnâmes.

Il faut bien que l’argent finisse par fructifier !

 

Nous avons joué ensemble.

Quand je faisais le maître devant mon tableau noir posé sur son trépied. Tu étais mon élève. Une élève attentive qui voulait s’appliquer ou qui faisait semblant.

Quand dans la jungle florale du jardinet d’la ferme, nous nous lancions, fébriles, dans une chasse à l’œuf les beaux matins de Pâques. De gros œufs durs, teintés par des mains familières attendaient qu’on les lève de leurs nids de verdure. Ils étaient rouges ou verts et garnissaient le fond de nos paniers d’osier. Et si les cloches parfois étaient plus généreuses, des petits œufs-liqueur venaient alors nous surprendre dans leurs sachets dorés.

 

A ce petit jeu, Francine, n’hésitant pas, bien sûr, à user de combines, étais la plus habile. Du moins le croyait-elle ! Au classique jeu de dupes du short et de la jupe, je jouais le grand frère. Elle pensait m’abuser, je la laissais rêver !

 

Quand nous avons quitté les senteurs de Longpré, tu t’es vite empressée de trouver des « Nana ». Ce furent Madame Arnoult la sympathique grand-mère de la famille Drouilly et Lucienne, l’andalouse. C’est peut-être chez elle que naquit un beau jour ta vocation précoce nounou. Etienne, David, Mounette furent tes tous premiers tests.

 

L’école nous éloigna, géographiquement. Nos années d’internat qui se sont succédées ont fait que nos chemins ont un peu divergé. Cela n’empêchait pas que le week-end venu la puce d’venait la peste ! En profitant bassement d’un avantage certain - quand j’étais dans mon lit - ma sorcière bienaimée s’agitait du balai et m’assénait franco des grands coups de gourdin. Les poils dudit balai volaient dans la carrée et la belle courageuse s’éclipsait, prestement.

 

Alors vous comprendrez qu’après toutes ces agapes je n’ose pas dormir chez elle : elle a 60 balais !

 

60 années déjà, Francine, que tu es née d’une rose aux fleurs simples.

Une rose qui, maintenant, a 82 ans et bien perdu depuis Longpré, des plis de sa robe pourprée et de son teint hâlé par le soleil. Bref, aujourd’hui la rose est un p’tit peu fanée.

 

Maman, si tu m’entends, c’est pour te taquiner !

 

60 années déjà que nos silhouettes se frôlent, s’embrassent ou bien s’éloignent sur nos chemins de vie.

 

Ces 60 ans Francine :

Une décennie d’école, à Longpré, à Amance, au collège de Vendeuvre puis au Lycée Technique.

Des copines, des amies ;

une pseudo-vie de château à Fontainebleau-Avon. 

Des boulots différents, en usine, au volant d’un Master pour faire des livraisons ;

Un temps derrière le zinc et fourneaux d’un bistrot.

Un mariage, un divorce.

Plusieurs déménagements ;

Deux enfants – des pisseuses- et puis deux petites filles.

Des années de Nounou, à garder, à choyer des bambins et bambines

Des vacances exotiques comme celles de Tunisie.

Un engagement sincère et désintéressé pour ton village de cœur, ton village d’adoption. Au syndicat, d’abord, aux mille initiatives et bien sûr la commune qui t’a donné mandats.

 

Ce soir, ma petite sœur, nous ne referons pas notre danse du balai, une partie de manille ou encore de belote mais nous fêtons en joie tes 60 ans de vie, non sans jeter quand même un regard attendri sur tous ceux de nos proches qui nous ont fait grandir, plus particulièrement Papa, Litte et Patron, les membres disparus d’un incroyable quintette qui aura a jamais marqué nos existences.

  

Bienvenue, petite sœur, chez les sexagénaires.

Joyeux anniversaire.

 

 

 

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ven.

28

juil.

2023

J'irai courir sur vos tombes

 

Et but ! ». 

 

Ainsi parlait Daniel, d’une voix aussi puissante que l’était son pointu, quand, d’un tir ravageur, il venait de marquer.

Celle-ci résonne encore dans la rue Saint-Martin comme un écho sans fin renvoyé par les murs de l’église séculaire.

 

Zut ! Trompé par Bimbo ! Vévé, qui se vantait d’égaler Formici, gardien emblématique du grand Troyes Aube Football, en était dépité.

 

Daniel, il faut le dire, était un grand gaillard, pas vraiment cérébral, mais reçu au certif, dont la force égalait sa surcharge pondérale. Ses presque 100 kilos, un tissu adipeux bien supérieur aux normes, lui valurent ce surnom au sens éléphantesque. Au demeurant gentil.

 

Il arrivait parfois qu’on lui lance un défi : le tour de La Ville aux Bois - ce hameau haut perché qui devint Amançois en 1825 - dans une course à vélo.

 

Cinq kilomètres de course avec une pente moyenne de presque 5 %, pour mettre en appétit, et quelques courts passages à près de 12 % !

Sur la ligne de départ, trois, quatre vélos classiques, munis de dérailleurs, et notre ami Bimbo chevauchant une vieille Bleue, un deux-roues délesté de son précieux moteur. Malgré le handicap lié à sa monture - à peine 3m 50 à chaque tour de pédale - Daniel, dans la montée, parvenait à nous suivre, faisant même jeu égal, car le braquet unique de sa bécane spéciale était mieux adapté aux traîtres raidillons qui marquaient le parcours. La masse de la machine semblait bien peu de chose sous la musculature du redoutable athlète. À partir de l’église, il finissait quand même par céder du terrain. Le développement cette fois devenait une entrave et Daniel, ahanant, dépassait l’édifice sans le moindre regard sur ce joyau roman daté du 12 ème siècle, l’église de l’Assomption.

 

Cette église paroissiale au plan rectangulaire cache de nombreux trésors que nous étions, sans doute, nombreux à ignorer. Car lequel d’entre nous avait seulement franchi son porche en pan de bois et pénétré le lieu ?

 

Sur le sol de sa nef, recouvert de tomettes, un chevalier en armes, Messire de Rochetailler, et sa dame Damoncourt, dévoilent leurs armoiries sur  le calcaire luisant d’une grande dalle funéraire. Écoute, cher visiteur, les voix évanescentes de leur esprit rodeur, murmurer aux oreilles leurs histoires de famille ! Ils parlent de leurs bonheurs, de leurs peines, de leurs larmes.

 

Deux autres pierres tombales, celles d’Antoine de Mertus et de Gaspard de Pons, vous invitent discrètement à remonter le temps des chevaliers-seigneurs qui édictaient des lois et rendaient la justice.

 

Sur les murs dévoués à la sobriété, des statuettes en bois peint. Sainte Catherine, saint Eloi ; saint Sébastien, martyr, le torse percé de flèches, saint Nicolas de Myre, les trois doigts étendus au dessus du tonneau, invitent à la piété.

 

Sur sa « bicyclette » bleue, Daniel, très à la peine,  inspirait la pitié. Il vivait sur l’asphalte un autre chemin de croix. Mais qu’on ne s’y trompe pas ! Daniel courbait l’échine mais ne s’avouait vaincu et restait bien visible dans nos rétroviseurs.

Il n’est de bête blessée qui ne trouve les ressources pour un ultime combat. Et passée la grande ferme, dite de l’ancien château, la pente devenait douce. Un faux plat salvateur pour le sérieux coup de pompe que connaissait Daniel.

 

Nous virions à la mare très largement en tête. La promesse d’une descente nous redonnait des jambes. La descente, 6% en moyenne, les premiers hectomètres à près de 15% !

Hélas, nos développements montraient vite leurs limites. Passé un certain rythme, relancer nos vélos devenait impossible. Notre accélération n’obéissait cette fois qu’à la seule pesanteur et pas à nos mollets. Sur ce terrain encore, notre pesant Bimbo et sa lourde machine avaient alors sur nous un précieux avantage. Et plus Daniel fonçait, plus notre avance fondait !

Heureusement la côte n’était pas des plus longues et nous pouvions atteindre la 443 avec un peu d’avance. Un axe très fréquenté qui était à l’époque le passage obligé, du moins le préféré, des vacanciers du nord. Belges et Néerlandais passaient ici en nombre pour rejoindre, à Ablis, l’autoroute du soleil. Nous devions sur cette route, rester très vigilants.

 

C’est ainsi que Daniel, de montées en descentes, de descentes en faux plats, sans jamais nous rejoindre, jouait à l’élastique, pour n’avoir sur la ligne, qu’un hectomètre ou deux de retard sur nos cycles. S’il n’en avait conscience, Daniel réalisait un véritable exploit.

 

« Et but ! »

C’est dans l’eau qu’il fallait récupérer la balle.

Mais comment aurait-il pu en être autrement sur ce quadrilatère aux limites naturelles constituées par l’Amance et le « ru de la honte », le ru des polémiques, que d’aucuns accusaient d’être le pot de chambre de gens indélicats.

 

Nous courions sans vergogne, et sans nous émouvoir,  sur l’aire abandonnée, pour des raisons d’espace et de santé publique, du cimetière paroissial où jadis reposaient notables et bons chrétiens. Au chevet de l’église, comme il était d’usage. Et même si de longtemps leurs derniers ossements avaient été levés, placés en fosse commune dans le nouveau cimetière, leurs esprits rodaient là, dans cet espace sacré que nous venions troubler.

 

« Et but ! »

Quand le royaume des ombres se laissait envahir par des rois insolents, le cimetière d’autrefois revenait à la vie et sa terre, en jachère, devenait pépinière de modestes talents.

Francis, Philippe, Bimbo ; Daniel, Fernand, Nanard ; Michel, Jean-Jacques, Bidule ; Jean-Luc , Dany et Serge ; Alain, Jean-Paul, Philippe, nous étions dix et cinq, nous étions une quinzaine qui, après le turbin, débarquions au cimetière pour le grand festival des soirées estivales.

Roulettes et passements d’jambes, grand pont, double contact ! Un festival de « cannes » sur une scène macabre.

 

Deux pulls et deux chemises et nous avions les buts. Quatre pieds qui se rapprochent et le premier d’entre eux qui parvenait à mordre sur les orteils de l’autre, choisissait, un à un, les membres de son équipe.

 

Les niveaux, avouons-le, étaient des plus divers, des acteurs confirmés, licenciés dans des clubs, jusqu’aux simples figurants qui apportaient le nombre. Mais l’envie et la joie étaient bien partagées. Et tout naturellement, Formici, Zorzetto et autres Pleimelding, les nouvelles stars d’une Aube sortie du crépuscule, devenaient les modèles qu’on rêvait d’imiter.

 

Les filles nous regardaient. Supportrices excitées, elles encourageaient l’un, criaient le nom de l’autre. Et sans doute, nos parades étaient-elles décuplées par l’idée qu’une d’entre elles serait peut-être sensible à nos prouesses techniques. Si elle ne l’était par nos charmes athlétiques !

 

S’en revenant du bois, Dany, le bûcheron, apparut un beau jour muni de quelques perches. Deux rectangles de bois d’une longueur de 4 mètres se trouvèrent face à face, plantés dans le sol dur.

Les pulls et les chemises retrouvèrent leurs mannequins.

Ces limites dans l’espace mettaient enfin un terme aux discussions stériles sur la validité de tel ou autre but.

Dès lors, notre Vévé devenait le phénix et l’hôte de ces bois.

Quand les charmes tremblaient sous un tir appuyé, la reprise de volée d’un Bimbo ou d’un Liard, les filles se gondolaient. Elles espéraient, sans doute, l’envolée des bois verts ! Histoire de s’amuser.

Mais les traverses tenaient.

 

Nous jouions bien ou mal, mais nous jouions heureux ! La passion était là. La fatigue quotidienne de ceux qui travaillaient, disparaissait. D’un coup. Comme par enchantement.

 

Il en était ainsi chaque soirée estivale. Au sortir du travail ou au retour des champs, nous nous retrouvions là.

Jusqu’à « l’heure de la soupe ».

 

Derrière les contreforts de l’église Saint-Martin, il arrivait parfois qu’un espion vienne nous voir. Tatave, Jean-Pierre ou Jacques.

Chacun, évidemment, encourageait les siens mais dans leur tête une graine, une précieuse radicule, se développait déjà. Cette idée que, peut-être, notre village d’Amance pourrait franchir le pas et permettre à ses « stars » de chausser, pour de bon, des crampons officiels.

 

L’idée fit son chemin.

 

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ven.

23

juin

2017

La pensée du jour

Toute musique qui ne peint rien n'est que du bruit.

[ Jean le Rond d'Alembert ] - Discours préliminaire à l'Encyclopédie

 

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